YIN YANG – NOIR / BLANC / ROUGE
Où la dynamique des opposés et leur intégration
(24 juillet)
En aïkido nous parlons souvent des polarités et de ce qu’elles impliquent dans les techniques (le fondateur M. Ueshiba parlait d’alchimie, aussi je ponctue ce texte des symboles « noir, blanc et rouge »), mais je vais ici parler davantage de l’état d’esprit qui génère ces polarités, pour mieux comprendre ce qu’elles induisent psychologiquement en termes de ressenti. Il se passe la même chose sur le tatami mais à une autre échelle de temps, plus large ou bien plus courte, à vous de vous approprier cette réflexion – qui en devient métaphysique, et qui m’est personnelle – avec discernement, détachement, bon sens et simplicité, car il s’agit de cela finalement, revenir à une façon d’être simple et acceptante malgré des ressentis contrastés.
En partant de ces postulats…
Rien n’est éternel par nature. Les choses continuent à exister lorsqu’elles se renouvellent en permanence. La vie est mouvement (spiralé) ; s’il n’y a pas de mouvement c’est la mort. Le mouvement est nécessaire car il induit le renouvellement permanent de la conscience qui se réinvente en chaque occasion et c’est peut-être là même son but premier.
Pour ce faire, il doit y avoir séparation du yin et du yang, ce qui induit une dynamique giratoire par un effet d’attraction-répulsion simultanés, au sein duquel
+1 = -1
(soit par analogie la création de l’atome d’hydrogène où la charge (+) du proton correspond à celle (-) de l’électron, les deux charges opposées existant en juste complémentarité)
« Un » égale « moins un », équation de l’impossible, mais c’est pourtant elle qui crée un mouvement.
À ressentir ces dynamiques profondes, je comprends qu’elles sont sous-jacentes à presque tous les domaines de la vie ; le relationnel, la pousse du végétal, l’entreprise, la santé… Par analogie, il s’agit de l’espace situé entre les dieux égyptiens Nout et Geb (le Ciel et la Terre).
La dynamique qui s’exprime entre les deux est génératrice de vie : c’est un espace qui respire dans un mouvement d’expansion-contraction régulier, comme un cœur qui bat.
CYCLICITE
Avec ses battements, le cœur humain vit physiquement selon ces cycles courts, mais il connaît également des cycles plus longs qui sont de l’ordre du ressenti et de la perception même de la vie, de son cours, de ses couleurs, à travers nos sentiments, nos émotions, et notre mental. Il existe au cours de ces cycles, le même phénomène de dilatation-contraction que dans son fonctionnement physiologique.
YANG – BLANC – PHASE EXPANSIVE
Au cours de cette phase, le champ d’influence du cœur se dilate tellement qu’il devient capable de « contenir le monde » : tout ce qui est vu ou porté à la conscience du sujet – les gens, les situations, les idées, les projets, les problèmes – tout est porté et englobé comme quelque chose d’assimilable. Rien ne semble impossible à surmonter, rien ne paraît vraiment grave en soi, ou du moins, il est facile de focaliser sur ce qui est ressourçant.
Yang
=
L’information va de l’intérieur vers l’extérieur, c’est la phase où nous sommes naturellement émissifs, rayonnants, car nous focalisons sur ce qui nous nourrit depuis l’intérieur, et sommes moins touchés par ce qu’il se passe au dehors.
Dans cette phase expansive, la peur n’exerce plus sa force avec autant d’influence, et l’amour y est plus intensément ressenti de même qu’exprimé, sans crainte ni doute, mais avec facilité et fluidité, comme une évidence qui n’a pas besoin de justification pour exister. La joie devient le régime de croisière, stable, dense, et peu de choses semblent pouvoir l’entamer.
Les actes significatifs ne sont pas vécus comme des « travaux » à « faire » car c’est la façon d’être qui prime dans ce qui est vécu. On se souvient des moments légers, de connectivité aux autres, mais ce qui a pu être accompli concrètement n’a pas vraiment d’importance ou n’a pas été « fait exprès ». L’action est facile donc on ne focalise pas dessus.
Au cours de cette phase, on supporte aisément le vide, le silence et la solitude car la plénitude rayonne et on génère « le plein ». D’une certaine manière il y a satisfaction permanente ; c’est très nourrissant mais cela n’appelle pas au mouvement mais plutôt au repos, à l’immobilité contemplative, car rien ne semble avoir besoin d’être changé et tout semble à sa place. Répétée jusqu’à saturation, l’excès de cette phase devient alors stagnation, immobilisme, blocage. Émotionnellement, cela devient de la suffisance, de l’orgueil, de la paresse. Elle engendre coagulation, accumulation, toxicité.
« Le Noir est dans le Blanc »
Lorsque tous les aspects de la première phase ont été pleinement ressentis et conscientisés, jusqu’à une certaine forme de saturation, il se produit alors le dépassement du point de non-retour qui nous fait vivre un phénomène de basculement intérieur, une nouvelle approche, un changement de regard, et cela correspond à la phase de contraction qui est libératrice.
YIN – NOIR – PHASE DE CONTRACTION
C’est comme une contraction lors d’un accouchement : c’est le coup de tonnerre nécessaire, celui que tout le monde attend sans trop se l’avouer lorsque tout semble « si bien » mais qu’en réalité la situation est devenue figée, linéaire et fausse. Le début de cette phase correspond au révolutionnaire qui casse la baraque en disant « Ça suffit ! » et bien que souvent dérangeant, son message est pourtant empreint d’une vérité limpide, brutale, neuve et pure.
Au sein de cette contraction – qui donne l’impression dans l’extrême que le monde entier se contracte autour de ce cœur devenu comme un trou noir qui fait tout disparaître, ce qui nous donne envie de nous recroqueviller vers l’avant – il se produit l’inverse de la première phase : tout semble dramatique, terne, jamais comme il faut, tout y est tellement « améliorable » que cela appelle sans cesse le renouvellement, l’élagage, le coup de balai devenu nécessaire. Nous ressentons le vide en permanence, et nous le générons également. On trie, on jette, on brûle, on nettoie, on agit, on refuse, on lutte, on milite, on fait bouger les choses pour changer le monde car franchement, c’est un scandale… Et reconnaissons que c’est aussi dans ces moments que les choses changent peu à peu. Reconnaissons également à quel point cela ne semble jamais assez rapide ni suffisant.
Yin
=
l’information vient de l’extérieur vers l’intérieur, donc nous prêtons attention sur le monde et tout ce qui est à l’extérieur de nous-même
En projetant notre attention à l’extérieur, nous focalisons facilement sur ce qui est à faire, la liste de « choses à faire » devient angoissante, et nous nous souvenons de l’effort fourni au sein de ce qui devient une lutte permanente en termes d’action. (Avouons qu’il y a parfois une gloire secrète dans la « souffrance utile » qu’on y ressent… mais ce détail si insignifiant, l’ego ne l’admettra sans doute pas, tant il est insignifiant )
Et cela finit par devenir terriblement frustrant de porter ce regard sur le monde – qui ne semble jamais qu’à moitié terminé, voire même pas à moitié commencé – alors on se laisse aller à l’anxiété d’un meilleur lendemain qui pourtant ne semble jamais venir, jusqu’à parfois perdre tout espoir… il y a un sentiment d’inaccessibilité, d’échec permanent, de rupture sans solution alternative. Et l’excès de cette phase s’exprime alors en aigreur, en projection de peine sur les autres, en agressivité. On se dit « à quoi bon ? » … Mais ce n’est là qu’un vaillant appel à l’énergie complémentaire, celle de l’apaisement, du simple contentement de ce qui est en vérité déjà accessible, et du sentiment de fluidité et de facilité qui en découle : c’est le deuxième point de bascule qu’on appelle remarquablement « lâcher-prise » : car disons-nous bien que si cet appel à l’autre dynamique existe, c’est bien parce que cette autre énergie grandit secrètement à l’intérieur, comme un germe en devenir.
« Le Blanc est dans le Noir »
Vient alors la caresse – inattendue et donc souvent incomprise – de la nouvelle phase d’expansion qui redevient libératrice à son tour. Et le cycle recommence – mais sur la spire de vie suivante, dans une autre situation, avec une conjugaison différente des mêmes ressentis.
En résumé…
Yang | Yin | |
Nature | action, matière, corps | concept, idée, projet |
Centré sur | le sentiment, l’accomplissement | le mental, la raison |
Cœur | dilaté | contracté |
Posture physique | torse bombé, épaules rejetées en arrière | recroquevillé vers l’avant |
Perception | fluidité dans l’action, effort dans le mental | effort dans l’action, fluidité dans le mental |
Sentiment | satisfaction, fermeture | projection, devoir, ouverture |
Émotion | joie, imperméabilité | se laisser toucher, frustration, colère |
État d’esprit | expression, créativité matérielle | évaluation, comptabilité, créativité mentale |
Caractère | expansivité, rayonnement | réceptivité, repli sur soi |
Réflexe | rire, absence d’écoute, détachement | critique, observation, objectivité, attachement |
Cycle féminin | phase ovulatoire | phase lutéale |
Cycle masculin | matin | après-midi |
Temporalité | jour, printemps – été | nuit, automne – hiver |
Conséquence | stabilité | changement |
Le chemin rouge, ou l’INTEGRATION DES OPPOSES
La libération est ainsi renouvelée, une fois par le Noir déclencheur qui appelle au renouveau, une fois par le Blanc apaisant qui appelle à la réjouissance simple. L’un révèle la qualité de l’autre par son effet de contraste – contraste contre lequel il n’y a plus aucune de raison de lutter.
Se produit alors le dépassement de la dualité qui se fait par l’intégration des polarités : l’alternance des deux dynamiques est reconnue comme nécessaire, et on comprend qu’il n’y a plus à être en guerre avec ce qui n’est qu’une simple cyclicité.
C’est de là que vient la Paix.
Car elle correspond à la conscience que tout est déjà « en place » et qu’il n’y a pas à désirer d’issue définitive, mais qu’il est plutôt nécessaire de reconnaître à quel point tout se complémente déjà dans une juste mesure, précise, paramétrée selon nos capacités, et à bien y regarder, savamment orchestrée.
La vraie liberté découle de notre capacité à passer consciemment d’un état d’esprit à l’autre avec la fluidité nécessaire, parfois d’un mois à l’autre, parfois plusieurs fois au cours de la même journée, de la même heure, ou de la même phrase en quelques secondes.
Se permettre de ressentir – car il s’agit bien de se le permettre, comme une autorisation à se donner – se permettre de ressentir pleinement ces deux phases sans lutter contre, juste en se disant « ce jour/cette année/ce moment est noir » ou « il est blanc » sans chercher à changer sa couleur mais plutôt en l’utilisant pleinement pour y faire où être tout ce qu’il est possible de faire ou d’être, voilà une des clefs de vie nécessaire au bonheur : arrêter de lutter contre ce qui n’est autre que « la météo » de notre âme.
S’il pleut, tu seras mouillé. S’il fait soleil, tu vas bronzer. Car la météo va modifier ton aspect ainsi que la manière dont les gens te voient. Les événements et les phases de la vie vont te changer. Les gens vont te transformer. La vie entière va passer à travers toi, et si tu l’acceptes, alors tu deviendras capable de te reconnaître en chacun, en toute chose, noir et blanc, comme une facette de toi-même qui s’exprime de temps en temps de la même manière, mais avec périodicité, car l’identité fondamentale est ce qui englobe tout cela à la fois.
Par Isadora P. le 24 juillet 2025
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